Ce que cette crise sanitaire peut nous apprendre
Depuis le début des années 1990, plusieurs crises sanitaires majeures ont marqué les esprits ; celle que nous traversons aujourd’hui est la plus grave que nous ayons à vivre depuis le siècle dernier. Elle va déstabiliser de façon durable le système de santé et laisser une empreinte douloureuse tant chez les professionnels de santé et du médicosocial que dans la population, notamment les plus démunis. 3 étapes me semblent nécessaires si nous voulons saisir les apprentissages que la crise va dessiner. La première est celle que nous venons de vivre.
1/ Gérer l’urgence : Agir
Une crise met toujours en exergue des modèles de pensées dominants d’une société avec ses atouts et ses limites. Une crise sanitaire, telle que nous l’avons vécue, par sa violence et sa brutalité, tend à enfermer la pensée, à la simplifier et à l’inscrire dans une culture de l’opinion et des faits fondée sur une logique binaire et disjonctive : vrai ou faux, bien ou mal. C’est le primat de la raison pour atteindre le Vrai en se détournant de la perception sensible « maître d'erreur et de fausseté » selon Descartes.
Dans l’urgence, le besoin de savoir et de maîtriser prend le pas sur la pensée complexe et systémique parce que les difficultés nécessitent des décisions rapides pour appréhender une épidémie de cette ampleur.
La primauté du pouvoir centré sur un certain savoir risque alors d’encourager l’individualisme et la compétition entre experts. On a vu dans les médias un défilé de spécialistes en infectiologie, épidémiologie, de nombreux experts éminents qui dans un « jeu d’influence », partagent leurs savoirs, leurs expertises, leurs vérités et les confrontent à d’autres spécialistes. Qui va trouver un premier traitement ? Un vaccin ?
Le citoyen fait pression car il veut savoir. Quelle est la « bonne » norme ? La procédure à suivre ?
On baigne dans une conception de la santé biomédicale avec sa finitude qui est la lutte contre la maladie et le recul de la mortalité ; et en même temps le sombre visage de la souffrance demeure.
L’infirmière exécute, le malade est passif. Le danger, la mort qui plane nécessitent d’agir, de protéger, de traiter, de sauver, de guérir. Alors il est légitime que le médecin dans cette étape, soit au premier plan. Le patient souffrant du Covid19 dans ses formes graves, n’est plus en état de décider. Il ne peut que s’en remettre aux mains « réparatrices » d’un spécialiste.
La médecine a évolué au rythme des conquêtes et des résultats de la science ; l'ère pastorienne et la découverte des microbes ont modifié l'approche des risques de la vie : il était alors possible, à cette époque bercée par des utopies, de croire à une vie sans maladie physique (tétanos, tuberculose, etc.). Aujourd’hui, on prend conscience que ce n’était qu’une illusion. Or en permettant une connaissance plus précise des maladies et en faisant évoluer les modalités de traitement, les progrès de la médecine ont eu un impact sur la confiance parfois aveugle que le malade plaçait en son médecin, qui devient, dès lors, détenteur d'un pouvoir de vie ou de mort. Alors quand surgit une épidémie telle que nous l’avons vécue, les exigences que les conquêtes ont suscitées avec notamment l'obsession du résultat, n'ont-elles pas eu tendance à mettre cette confiance aveugle en péril, obligeant le médecin à se justifier en permanence et à prendre toutes les garanties, un peu comme un renversement de la preuve scientifique ?
Sur un plan politique, cette crise a eu tendance à enfermer chaque pays sur lui-même dans le but de se protéger du risque. La course aux masques en est un exemple incroyable. Et le confinement a été géré de manière très différente en fonction des priorités de santé affichées par les états (fragilité des personnes due à l’épidémie ou responsabilité individuelle face au risque). Saluons cependant l’élan de solidarité et d’implication en France, entre les régions et les hôpitaux pour soutenir les territoires les plus touchés et saturés.
Qui est en mesure aujourd’hui de savoir vraiment comment décloisonner ? Il existe beaucoup d’inconnus. Qui est réellement touché ? Combien ont des anticorps ? Aura–t-on un vaccin ?
La critique est facile, acerbe, cloisonnante et improductive. L’aide à la réflexion peut sans doute venir de ceux qui n’ont aucune arrière-pensée stratégique de pouvoir et de place ; je pense notamment aux infirmières(ers), aux patients.
2/ L’après-crise : Analyser, Accompagner
Dans la seconde étape, il est essentiel de ne plus réduire l'être humain à une machine cybernétique mais de le rétablir dans sa dimension biopsychosociale. Le patient a une histoire particulière, une subjectivité propre, une existence vécue lors de cette crise que le soignant se doit de recevoir avec empathie et compassion. Il s’agit d’accueillir celui qui a subi la maladie, celui qui a perdu de manière violente un proche, celui qui a enduré le confinement et l’isolement social, celui qui souffre de maladie chronique et qui n’a pas eu de soins parce qu’il ne se jugeait plus prioritaire ou qu’il était submergé par l’angoisse. Les plus vulnérables, les personnes âgées, les malades atteints de troubles psychiques…
La crise enferme d’abord mais elle doit ouvrir ensuite. L’analyse réflexive doit prendre en compte différents aspects, différentes conceptions, différents regards dans un mode de pensée constructiviste et phénoménologique.
Cette étape est indispensable pour réinvestir l’aspect psychologique ; aborder les traumatismes ; remettre un rythme et une parole vraie au cœur des échanges. La crise nous rappelle la vulnérabilité de notre condition humaine mais c’est aussi notre force.
Dans cette étape, les infirmiers, les aides-soignants et les professionnels paramédicaux sont au premier plan pour analyser et accompagner, « ces invisibles » qui sont applaudis chaque soir. Si le soin comme nous l’avons abordé dans la première étape est une production, une expertise conduite en premier lieu par les médecins qui imposent de mettre en place des indicateurs, de quantifier, de démontrer, de vérifier, dans la seconde étape, le soin relève de la relation humaine du sujet dans tout ce qui ne peut être quantifié.
3/ À court terme : Renaître et Reconstruire
Le piège serait de repartir comme s’il ne s’était rien passé. « Plutôt que de reporter, de recommencer, on peut renaître. La renaissance doit être double, pour soi, donc pour les professionnels individuellement, mais aussi pour l'organisation, pour le système de santé. Dans tous les cas, on ne pourra pas faire comme si rien ne s'était passé », confie Jean-Philippe Pierron.
Cette étape est une étape de co-construction entre les professionnels du soin et les patients qui ont vécu une expérience particulière, traumatisante parfois (notamment pour les malades hospitalisés plusieurs semaines en réanimation).
L’objectif est, de mon point de vue, de définir de nouvelles règles et de faire avancer la démocratie sanitaire. La période est féconde.
Les professionnels sont portés par des valeurs et une intentionnalité sur lesquelles ils vont reconstruire la cohérence collective dans une conception de la pensée complexe[1]. Rien ne pourra se reconstruire si on n’est pas d’abord prêt à travailler ces valeurs (décloisonner/se tenir en dehors des clivages politiques, sanitaires, médicosociaux, économiques avec comme finalité les patients auteurs de la réécriture d’une histoire avec le monde soignant.
Cette période est une opportunité de « repenser nos institutions ». Elle rappelle « de manière criante que la santé n'a pas de prix ». À l'heure où s'amorce un déconfinement progressif et où vont être rendus visibles les effets du déconfinement, c'est une dernière évidence qui se fait prégnante : « on soigne des corps malades mais finalement aussi le corps social » (Pierron, Hospimédia du 30 avril).
[1] Tisser ensemble des idées contraires, accueillir le singulier dans la totalité
Par Jean-Marie REVILLOT - Président du GRIEPS
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