Skip to content

La dynamique du care dans la gouvernance hospitalière

23 octobre 2014
La dynamique du care dans la gouvernance hospitalière

« Mieux cerner ce que nous voulons promouvoir. Les méthodologies ne sont que des instruments qui ne peuvent devenir fin en soi. C’est nous qui pouvons donner sens au projet qu’ils servent. Le sens du projet s’origine dans les valeurs qu’il met en œuvre »

Janine Robert-Lacaze 

L’hôpital français vit l’apprentissage douloureux d’avoir à fournir la preuve d’une offre de soins de qualité dans un contexte économique contraint. Les réformes qui se succèdent, depuis une décennie à vitesse accélérée, imposent une réorganisation dans une logique de performance et d’efficience. D’un système bureaucratique critiquable, mais qui pouvait procurer un sentiment de sécurité aux professionnels qui y travaillaient, il se voit instaurer des méthodes de production venues du monde industriel, à travers ce que l’on nomme aujourd’hui le Nouveau Management Public. Ces mutations créent des peurs, des résistances mais aussi de la souffrance au travail.

Les médecins et paramédicaux ressentent un déséquilibre entre le temps accordé au malade et le temps consacré à différentes tâches administratives dont ils ne perçoivent pas la valeur ajoutée pour le patient, et qui n’entrent pas dans l’image du métier «rêvé». Ce décalage entre le travail «prescrit» et le travail «vécu» génère une perte de sens et de repères, facteurs favorisant l’épuisement professionnel et l’augmentation des risques psychosociaux.
Or, pour que les soignants soient en capacité d’assurer des soins de qualité, dans le cadre des normes instituées, en gardant une attitude empathique, dans un souci de l’autre et d’un prendre soin global, il semble essentiel qu’ils perçoivent que c’est cette approche humaniste qui est toujours attendue d’eux. Aujourd’hui, les professionnels de l’hôpital ont le sentiment d’une focalisation unique du pilotage sur des objectifs et indicateurs économiques. 
Nous avons, à travers cette recherche, tenté d’identifier un modèle de management qui soit en capacité de mettre en « reliance » des objectifs économiques associés à une qualité fortement normalisée et des objectifs centrés sur l’humain, dans les soins certes, mais aussi dans le cadre du travail à l’hôpital. Prendre en compte l’humain et l’humanité des hommes c’est porter un regard valorisant sur ses compétences et ses talents mais avoir aussi le souci de considérer ses limites, ses fragilités, sa vulnérabilité. 
Nous avons opté pour une étude longitudinale qui a croisé l’analyse des publications d’un média hospitalier, « Hospimédia » sur 2 ans (2011-2012), et des entretiens semi-directifs auprès de directeurs, médecins et cadres, principalement sur deux centres hospitaliers d’une capacité autour de 1000 lits. L’un positionné sur le sud-ouest et l’autre sur le sud-est de la France.
Le traitement des données ainsi recueillies nous amène à préconiser un pilotage de l’hôpital non vers un leadership unique porté par la direction (à l’instar de directeurs « patrons »), ni même vers une incitation à impliquer à tout crin les médecins dans la gestion économique, mais vers un leadership partagé qui conduit à la réalisation des objectifs à travers un processus dynamique et interactif d’influence. Ce modèle nous apparaît correspondre mieux aux valeurs, aux potentiels et richesses spécifiques que peuvent apporter les trois grands mondes de l’hôpital que sont sa direction/administration, ses médecins et ses paramédicaux. Il ne vise pas de manière privilégié un processus hiérarchique et vertical. Chacun des trois grands mondes incarne son propre système de valeurs, exprime tout son potentiel de compétences afin de contribuer à l’intelligence collective dans une synergie des énergies et des capacités à résoudre les problèmes et à innover. L’équipe de direction porte et diffuse la vision générale du sens, le cap à suivre. Les médecins mobilisent leur leadership autour de projets cliniques en regard des besoins de la population en s’appuyant sur la recherche médicale et les évolutions médico-techniques. Quant aux cadres intermédiaires et de proximité ils restent attentifs à l’organisation et aux pratiques de terrain dans une attitude humaniste. Ils promeuvent un leadership de type transformationnel en se centrant sur les talents de leurs collaborateurs et sur leurs capacités à grandir vers le bien-être et l’autonomie à l’instar du modèle du « servant leadership ».
En effet pour traverser cette crise, nous plébiscitons un modèle éthique qui intègre «The care». Dans ce lieu, par définition « d’hospitalité » et « d’humanité », qu’est l’hôpital, le garde-fou d’un risque de rationalisation à outrance de son système de pilotage et de gestion, y compris de ses ressources humaines, n’est-il pas d’y promouvoir une éthique managériale du prendre soin ?
Alors que dans les entreprises la question de l’éthique, ou de la RSE, a fait son apparition ces dernières années, et qu’elle pourrait être transposable à l’hôpital, nous proposons une orientation de la gouvernance de l’hôpital sous-tendue par « l’éthique du care ». A la fois attention particulière et sollicitude, « the care » désigne une manière d’accueillir autrui avec le dessein d’être dans le prendre soin. Cette attitude est le fondement de la bientraitance, concept largement développé aux cours de ces dernières années pour contrer les comportements potentiellement maltraitants de soignants. N’est-ce pas faire preuve d’incohérence que d’afficher une charte de bientraitance vis-à-vis des soignés sans considérer une vigilance forte à promouvoir la bienveillance dans les relations interprofessionnelles et hiérarchiques ?
Aussi, nous préconisons que cette attitude valorisée dans les relations de soins soit aussi mise en valeur dans la posture managériale. Nous postulons qu’au-delà des différentes compétences managériales de type prescriptif, la posture éthique du manager est essentielle et participe pleinement à la performance tant recherchée. La qualité des soins résulte certes de professionnels techniquement compétents mais aussi en capacité de mobiliser empathie et « care about ». 
Nous avons cherché comment cette « éthique du care » peut naître et s’épanouir à l’hôpital, pour imprégner son pilotage et les pratiques managériales. Nous avons décrit quatre niveaux de manifestions du care au sein du management. Le premier niveau correspond à celui de la personne, avec un « care about » qui soit attention à l’autre en tant qu’être singulier. Le deuxième niveau professionnel est un « care about » centré sur les compétences mais également les talents individuels dans une perspective de développement, d’épanouissement et de mise en synergie vers les objectifs à atteindre collectivement. Le troisième niveau est un prendre soin de l’intégration et de la socialisation de chacun au sein de l’équipe. Enfin le quatrième niveau vise l’attention tout particulière à permettre à chacun de s’impliquer, en regard de ses compétences et de ses talents personnels, dans les projets institutionnels à la recherche du juste et fort engagement de chacun.
Les résultats de notre étude nous amènent à constater que « the care » n’est pas une valeur partagée par les différents mondes de l’hôpital. Elle émane de manière forte du groupe des paramédicaux. Ce groupe peut être considéré, de par son nombre de professionnels œuvrant à l’hôpital, comme fortement représentatif. Nous avons vu, lors des entretiens, que les cadres issus de ces métiers semblent garder cette valeur du « care » et vouloir continuer à la faire vivre dans leurs pratiques managériales. Par contre ils ne se sentent pas forcément légitimes ou en capacité de l’argumenter si elle n’est pas reconnue et valorisée par les deux autres mondes importants de l’organisation hospitalière que sont le monde administratif et le monde médical. 
Aussi nous mettons en avant l’importance pour l’encadrement et la direction des soins de croire à cette « éthique du care », et d’en identifier et évaluer les impacts sur la qualité de vie au travail perçue et la performance individuelle et collective. Ils sont les managers qui peuvent contaminer la gouvernance hospitalière pour qu’elle intègre ce « care », comme une valeur spécifique et forte pour mener à bien ses missions. Ceci afin que « the care » imprègne les modes de relation, que cette relation s’initie entre le soignant et le patient, entre collaborateurs ou entre le hiérarchique et son subordonné. « The care », fortement ancré dans les valeurs soignantes et « l’éthique du care » implicitement présente aujourd’hui dans l’encadrement et la direction des soins peuvent devenir des principes pertinents pour prévenir l’épuisement professionnel dont on constate un développement fort ces dernières années et pour encourager chacun à mobiliser ses compétences et à exprimer ses talents. Nous avons insisté sur l’opportunité que représentent l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet managérial pour instituer et faire vivre une « éthique du care ». Ce projet managérial est nécessairement à impulser par la direction générale.
La continuité de ce travail pourrait porter sur un approfondissement du « comment » concrètement cette « éthique du care » peut contaminer le management et l’ensemble des dirigeants et managers hospitaliers. En effet, la démarche à suivre est ici à peine ébauchée. Toutefois, pour nous, les initiatives et les forces sont déjà là, dans la direction des soins et dans l’encadrement soignant. Ils ont aujourd’hui à conscientiser l’impact d’une « éthique du care » sur les conditions de travail et sur la performance individuelle et collective pour être en capacité de l’argumenter auprès de leur hiérarchie et du directoire. Il serait intéressant de décrypter de manière fine comment le care s’objective, par des analyses de leurs pratiques managériales, pour ensuite pouvoir reconstruire des pratiques modélisables, transférables et transmissibles.
Extrait de la bibliographie :
  • Belet, D., (2013),  Le servant leadership : un paradigme puissant et humaniste pour remédier à la crise du management, Gestion 2000, p. 15-33.

  • Molinier, P., Laugier, S., Paperman. (2009), Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Petite Bibliothèque Payot, Paris.

  • Hirèche, L. (2004), L’influence de l’éthique des managers sur les comportements au travail et la performance organisationnelle : esquisse d’un modèle conceptuel, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00156106.

Auteur : Marie-Claude MIREMONT

Articles susceptibles de vous intéresser

02 avril 2024

Hommage à Cécile Boisvert, pionnière en Sciences Infirmières en France

18 mars 2024

La posture éducative : comment évaluer son apprentissage ?

29 février 2024

L’observation clinique en psychiatrie, approche sémiologique

Demande de catalogue

Les champs précédé d’un * sont obligatoires