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Les droits des usagers en psychiatrie : plaidoyer pour une effectivité des droits du citoyen à l’égard des personnes vivant avec un trouble psychique !

3 mars 2022
Les droits des usagers en psychiatrie : plaidoyer pour une effectivité des droits du citoyen à l’égard des personnes vivant avec un trouble psychique !

La loi 2002-3003 du 4 mars 2002 (dite Loi Kouchner) relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a représenté une avancée majeure dans la reconnaissance juridique et sociétale des droits des patients. L’un des objectifs visait à promouvoir un élan de démocratie sanitaire et à redéfinir les contours de la relation entre patients et soignants.

Si cette loi n’interroge pas spécifiquement le champ de la psychiatrie et la spécificité des droits liés à certaines privations de liberté (soins sans consentement notamment), 20 ans plus tard, qu’en est-il du côté de l’effectivité des droits des usagers de la psychiatrie, particulièrement dans le domaine de la citoyenneté des personnes vivant avec un trouble psychique ? Si force est de constater que tout usager en psychiatrie est considéré comme « un citoyen à part entière »[1] de par la Loi, la « légitimité citoyenne » ne semble pas aller de soi. En effet, droits et citoyenneté, s’ils peuvent se décliner sous un angle juridique, ne se décrètent pas si aisément dans la sphère sanitaire et sociale. Et ceci d’autant plus que « Les droits des usagers des services de psychiatrie sont complexes et mal connus (…) »[2].

Vivre avec un trouble psychique : une entrave à l’expression des droits ?

Lorsque l’on interroge les usagers en psychiatrie et qu’on leur demande quel pourrait être leur projet de vie, la plupart de leurs réponses ne diffère guère de celles de nombreux citoyens : vivre en couple, avoir un travail, posséder ou choisir un logement, aller en vacances, avoir des amis, se soigner… Pourtant, force est de constater que l’accès à un certain nombre de ces aspirations légitimes est loin de se concrétiser et cela ne permet pas donc aux personnes d’exercer leur pouvoir d’agir sur leur situation.

En effet, tout d’abord, les patients peuvent être empêchés, voire entravés par l’ampleur de leurs troubles et leurs effets sur la communication et la capacité d’entrer en relation avec autrui. La tendance à l’isolement, le repli sur soi, l’angoisse de se confronter à l’inconnu en sont des conséquences et autant de difficultés à faire valoir ces aspirations. Ensuite, les représentations sociales associées aux maladies dites psychiatriques (avec des phénomènes de stigmatisation et d’autostigmatisation) n’invitent guère les personnes vivant avec un trouble psychique à frapper, de manière souveraine et assertive, à la porte des organismes, pour autant habilités à promouvoir des droits et à les mettre en œuvre ; alors même que l’un des fondements de la démocratie sanitaire réside dans le fait « d’activer ou d’impulser les droits des usagers en psychiatrie, afin qu’ils puissent, avec et malgré la maladie psychique, disposer de leurs droits fondamentaux en toute connaissance et autonomie ».[3]

Quid de la stigmatisation et de l’autostigmatisation dans l’effectivité des droits des usagers vivant avec un trouble psychique ?

Compte tenu de ces représentations sociales, fort tenaces sur tout ce qui relève de la psychiatrie de près ou de loin, les personnes vivant avec un trouble psychique peuvent être mal perçues ou avoir l’impression d’être mal perçues par leurs semblables, ce qui complique largement les démarches nécessaires pour faire valoir leurs droits et leurs aspirations. En effet, le fait de présenter un trouble psychique « peut être considéré par certains comme très négatif, dégradant, et entraîner la mise à l’écart de la personne.»[4].

À ces stéréotypes, peut se surajouter une composante intensifiant ce rejet : l’autostigmatisation. Celle-ci se construit « lorsque les personnes atteintes de maladie mentale et leurs familles intériorisent les attitudes négatives de la société à leur égard, ce qui les amène à se blâmer et à avoir une faible estime de soi »[5]. En conséquence, nous observons que le processus d’autostigmatisation incite la personne vivant avec un trouble psychique à « éviter les situations qui suscitent la crainte du rejet, notamment par des effets d’intériorisation de ces stéréotypes négatifs » [6].

C’est ainsi que les mécanismes de stigmatisation et d’autostigmatisation peuvent éprouver la personne jusque dans sa capacité à faire valoir des droits susceptibles d’améliorer sa qualité de vie et portent en eux les germes du repli sur soi et du renoncement. Ainsi, une étude britannique, publiée en 2016, montre que « Les personnes vivant avec des troubles mentaux disent souffrir davantage de cette stigmatisation que des symptômes mêmes de la maladie »[7], ce qui entraîne des traitements de situation que l’on peut qualifier de discrimination avec des difficultés d’accès à un emploi, à un logement…

Cette étude démontre également que la discrimination se retrouve prioritairement dans 5 domaines impactant la vie quotidienne et la qualité de vie des personnes : les prestations sociales, les soins de santé mentale, les soins de santé somatique, la famille et les amis.[8] Le manque de soutien ressenti (et/ou effectif) de la part des services publics prend une part importante dans ce constat..

En 2021, le baromètre UNAFAM[9], s’appuyant sur une enquête auprès des proches aidants et des personnes vivant avec un trouble psychique, montre que seules 19 % des personnes accèdent à l’emploi et 8 % ont accès à un logement accompagné ; 67% des personnes interrogées n’ont pu terminer leurs études ou formations, faute de dispositifs adaptés. Alors que « pouvoir choisir son lieu de vie, être soutenu si besoin dans sa vie quotidienne pour accéder à l’autonomie est un droit et participe activement au maintien d’une bonne santé mentale. »[10]

Les soignants comme premiers défenseurs des droits à la citoyenneté des personnes vivant avec un trouble psychique ?

À l’aune de ces constats, reconnaître la personne vivant avec un trouble psychique comme un citoyen à part entière confère aux soignants exerçant en psychiatrie une responsabilité tant sur le plan juridique, éthique, thérapeutique que sociétal. Les soignants sont probablement les premiers de cordée dans la lutte sur les représentations sociales mais cela nous demande aussi d’éclaircir en interne la façon dont nous percevons les troubles psychiques. En santé mentale, y compris auprès des soignants, « les idées reçues sur les diagnostics et les soins, mais aussi sur les capacités des personnes concernées, leur pouvoir d’agir, de travailler, d’aimer, d’avoir la meilleure vie possible, sont nombreuses et anciennes. »[11]

Le patient, usager de la psychiatrie, ne peut être réduit à la somme des symptômes qu’il présente et qui bloquerait tout processus d’inclusion. Combattre la stigmatisation et ses dérives sur le plan sociétal, c’est aussi mettre à jour les représentations individuelles et collectives des soignants à tous les niveaux d’intervention (formation initiale, exercice professionnel, formation continue) et d’affiner leurs croyances en les capabilités, en le rétablissement possible de la personne afin d’être en meilleure capacité de les soutenir dans ses choix, ses projets et ses démarches jusqu’à son autonomisation. Ensuite c’est l’aptitude des soignants à porter « une attention particulière aux mécanismes « d’autostigmatisation » qui permet une meilleure prise en charge clinique »[12]

Pour ce faire, amplifions à tous les niveaux des soins psychiques et psychosociaux, le mouvement qui consiste à reconnaître les pratiques plurielles et orientées vers le rétablissement comme des outils d’inclusion sociale et de développement de la citoyenneté, dans une démarche co-construite, avec la personne, en encourageant l’autonomie et l’amélioration de la qualité de vie, avec et malgré la présence de troubles psychiques. Pour ce faire, s’appuyer sur les ressources de la personne tout en tenant compte de ses vulnérabilités doit être le moteur (standard ?) de nos interventions.

Si les associations représentatives des usagers ainsi que les proches aidants ont évidemment et naturellement toute leur place dans l’accompagnement à l’accès à la citoyenneté des personnes vivant avec un trouble psychique, il est important aussi de souligner l’importance de la présence, de l’engagement et de l’intervention au plus tôt des professionnels de la psychiatrie et du social, là où la citoyenneté se construit, c’est-à-dire au sein de l’environnement de vie de la personne vivant avec un trouble psychique. Aider dans la personne dans son environnement de vie apparaît aujourd’hui comme un paradigme essentiel, à partir de l’intervention d’équipes mobiles (soignants et travailleurs sociaux), de case-managers, du développement de réseaux, de partenariats. Aujourd’hui, nombre de structures de soin se tourne vers ces pratiques et participe à cet élan : l’effectivité des droits des personnes dans leur contexte de vie et le développement des habiletés et des compétences dans la Cité !

D’autre part, et en complémentarité, saluons le déploiement de la pair-aidance au sein des services de santé mentale. Cette collaboration entre des patients rétablis et des soignants représente un terreau fertile visant à (re)donner espoir et rebond à tous ceux qui souffrent de troubles psychiques, même si le métier de pair-aidant mérite encore une véritable reconnaissance, avec un statut que lui confèrerait ses missions auprès des personnes vivant avec un trouble psychique.

Conclusion

20 ANS, considérés comme l’âge d’or, pour la Loi du 4 mars 2002 ? L’avènement des droits des usagers du système hospitalier confère à la société toute entière une réelle responsabilité dans la façon dont elle traite celui qui n’est ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre… Il est temps d’inscrire, dans le conscient collectif, l’inclusion sociale et citoyenne des personnes vivant avec des troubles psychiques comme une priorité sociétale mais aussi comme une priorité de santé publique. En ce temps anniversaire, ne serait-il pas temps de (re)considérer les droits des usagers en psychiatrie à la lumière de ces évolutions encore à conforter ? Ainsi que favoriser le processus de (ré)autonomisation des personnes vivant avec un trouble psychique par la co-construction d’une aide et d’un soutien s’appuyant sur un principe fort : « Aide-moi à faire seul ! »,[13] Là où je vis ou souhaite vivre…

Pour aller plus loin : Droits des usagers en Psychiatrie

 
[1] Loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge
[3] Bourelle JM (2021). Les Directives Anticipées Incitatives en Psychiatrie : l’expression des préférences de soins lorsque le discernement fait défaut,
   Les Directives Anticipées Incitatives en Psychiatrie : expression des préférences de soins lorsque le discernement fait défaut – Grieps
[6] Giordana JY (2020). Conférence "La stigmatisation et les discriminations des personnes souffrant de troubles psychiques. Comment identifier,  mesurer et réduire les stigmatisations et l’auto stigmatisation ?", Semaine d’Information sur la Santé Mentale, Le Pontet (Vaucluse)
[8] Hamilton S et al (2016). Qualitative analysis of mental health service users’ reported experiences of discriminationActa psychiatrica Scandinavica134 Suppl 446, 14-22.
[9] Unafam.org
[10] Richard MJ, Présidente de l’UNAFAM, in Santé Mentale, n°265, février 2022, p.5
[11] Loubières, C., Caria, A. & Arfeuillère, S. (2018). Prendre la parole pour déconstruire les idées reçues sur les troubles psychiques: Le savoir d’expérience pour agir contre la stigmatisation en santé mentale. L’information psychiatrique, 94, 809-816.
[12] Suter, C., Favrod, J. & Pellet, J. (2019). Auto-stigmatisation dans la schizophrénie: Un frein au rétablissement psychologique. Laennec, 67, 34-43.
[13] En référence à Maria Montessori
Auteur : Jean-Michel BOURELLE, ISP et cadre de santé en psychiatrie.

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