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S’engager vers la garantie et le respect des droits fondamentaux des usagers en psychiatrie ?

13 février 2023
S’engager vers la garantie et le respect des droits fondamentaux des usagers en psychiatrie ?

Et si nous commencions par le début ?

Printemps 2005, alors infirmière, le Psychiatre Chef de Service du secteur décide subitement d’ouvrir les portes du service du premier étage. La consigne est simple : dorénavant l’unité du rez-de-chaussée accueillera exclusivement les personnes hospitalisées sous-contraintes (HO/ HDT[1]) et l’unité du premier étage, renommée unité ouverte, uniquement les « HL[2] ».

Je me souviens des quelques jours suivants l’annonce de cette nouvelle organisation, de l’effervescence dans le service auprès des soignants : sidérés pour certains, surpris pour d’autres, en colère, abattus et de nombreuses questions et remarques qui fusent « les médecins et les cadres auraient-ils perdu la raison ? », « tous nos patients vont fuguer ! », « d’ici peu nous allons rendre notre diplôme ! »

Autant de projections ou de représentations qui nous ont fait vaciller, fait craindre ce nouveau paradigme et révéler pour beaucoup d’entre nous nos résistances aux changements et/ou évolutions dans les soins psychiques.

Le 2 mai 2005, après un long-week-end de trois jours, je prends mon poste du matin avec deux autres collègues, les portes s’ouvriraient dès 9h pour se refermer à 21h.

Ce jour-là, nous avons passé notre journée à surveiller les allées et venues, compter le nombre de patients, vérifier les moindres coins et recoins du service : qu’allait donc devenir ce fameux trousseau de clés, symbole de la toute-puissance soignante ?

Garantir la liberté d’aller et venir

Quand je repense à cette époque, je me demande encore ce qui fait que nous avons eu si peur et au nom de qui ou de quoi pouvons-nous restreindre la liberté d’aller et venir de nos patients ?

Aujourd’hui, j’avance quelques hypothèses explicatives (non exhaustives) :

  • Le caractère urgent de cette nouvelle organisation a été volontaire pour éviter la confrontation et les résistances fortes aux changements de la part des soignants ?
  • Ce nouveau mode de fonctionnement imposé, rapide, brutal, n’a laissé aucune place, ni espace aux professionnels d’exprimer leur crainte, et donc d’être rassurés ?
  • Que nous soignants, « soi-niant », sommes dans une relation de verticalité avec le soigné, « soi-nié[3] », qui renvoie à la dimension que l’autre « supérieur » décide pour « celui qui est en-dessous » ?
  • Le service de psychiatrie ouvert, sis dans l’enceinte de l’hôpital général, amènerait alors « nos » patients à se rendre en toute facilité dans les autres services de l’établissement afin de se procurer tout type de substances psychoactives, faire de mauvaises rencontres, se mettre en danger ?

Les portes ne se referment plus !

À ce jour, bien que n’ayant pas toutes les réponses, j’ai néanmoins confirmé certaines de ces hypothèses explicatives au décours de mon vécu professionnel.

Dans les semaines qui ont suivi cette nouvelle organisation, l’ensemble de l’équipe soignante n’aurait plus souhaité que ces portes se referment : au revoir le statut de vigie et bonjour le climat de confiance entre les usagers et nous-mêmes. Les psychiatres autorisaient, en accord avec le patient, les sorties sous conditions (seules, accompagnées, limitées en durée). Enfin les usagers accédaient ce à quoi tout citoyen a droit : la liberté d’aller et venir.

Dans des situations extrêmes et exceptionnelles, il est arrivé de refermer ces portes de façon très limitées et je me souviens notamment de deux situations : l’une par manque de place d’une personne accueillie en Hospitalisation d’Office avec un risque élevé de trouble à l’ordre public et l’autre pour se protéger de menaces extérieures : une famille vindicative souhaitant « faire la peau » à l’équipe soignante.

D’hier à aujourd’hui

En 2016, alors devenue cadre supérieure de santé de ce même pôle de psychiatrie, j’interviens en interface entre les équipes de soins, les cadres et la direction. Il m’appartient en collaboration avec le Chef de Pôle de garantir et promouvoir le respect des droits fondamentaux des usagers que nous accueillons dans les services.

Je me souviens d’un échange riche et constructif avec un expert visiteur de la HAS[4] sur la question des droits fondamentaux des usagers lors d’une visite de suivi de la certification V2014 . De cette conversation, je me rappelle un point essentiel : un patient hospitalisé, quelle que soit la durée, doit pouvoir considérer sa chambre comme son lieu de vie, même s’il n’est que temporaire. Aussi il doit pouvoir y accéder librement à toute heure de la journée, charge à l’équipe d’encadrement et par là-même aux professionnels en poste, de solliciter les patients afin qu’ils sortent de leur chambre, en leur proposant des activités ludiques, éducatives ou thérapeutiques, qu’on leur permette de (re)découvrir une vie, a minima, sociale, le service étant d’abord un lieu de rencontres et d’échanges.

De cet entretien est né le déclenchement d’une nouvelle étape dans le respect des droits fondamentaux : l’accès libre à la chambre à tout moment de la journée.

Aujourd’hui, je partage souvent ces souvenirs avec les stagiaires qui suivent mes formations. En effet, formatrice-consultante depuis deux ans, je prône à chacune des formations la garantie et le respect des droits fondamentaux des usagers en psychiatrie en expliquant aux stagiaires que, de là, naît un climat de confiance et que celui-ci favorise l’alliance thérapeutique.

Faire confiance n’est pas chose aisée, tout comme rassurer. Respect inconditionnel, authenticité et empathie, comme le préconise l’approche Rogérienne[5], ne sont pas de vains mots. Ce sont de réelles postures, attitudes et valeurs que les professionnels de la santé mentale doivent assimiler pour mieux accompagner l’usager tout au long de son parcours de soin et de vie.

Dans une période charnière où la place et les droits des usagers en psychiatrie évoluent sans cesse[6] avec, d’un côté patients et familles faisant davantage entendre leurs voix, leurs droits ainsi que leur capacité d’agir et de décider de ce qui est bon pour eux, de l’autre la législation en vigueur encadrant strictement les mesures coercitives[7] ainsi que la place d’autorités indépendantes, comme le CGLPL[8] , il est temps d’œuvrer en faveur du respect des droits fondamentaux en psychiatrie ;  et je me fais un devoir d’inscrire et de valoriser ces postulats au cœur de mes pratiques pédagogiques.

Ces derniers mois, je suis souvent intervenue sur les thèmes « moindre recours à l’isolement et à la contention » ou encore « violence et agressivité en psychiatrie » qui sont des sujets « emblématiques » de la restriction des libertés fondamentales en psychiatrie. Régulièrement les stagiaires pensent que la formation va être consacrée à la législation en vigueur ou à la façon de « se défendre » en cas d’agression d’un patient.

Au GRIEPS, nous avons fait le choix fort de baser ces formations, entre autres, sur un fondement éthique des soins tout comme sur la prévention permettant justement d’éviter ces situations dites de crise.

Les échanges entre les participants, invités à réfléchir en sous-groupes sur ce qui peut rendre agressif ou violent, font ressortir, certes les troubles et comportements inhérents à la pathologie ou bien les traits de personnalité, mais aussi et  surtout, les facteurs liés à l’organisation, l’environnement tels que le manque de personnel ou encore les règles de service trop strictes pour lesquelles le terme de « patient » prend toute sa dimension : « celui qui attend… » …pour se réveiller, pour le repas, pour sortir, pour se laver, pour les traitements, pour dormir… bref il patiente.

Lors des formations, je lance cette question : « imaginez que vous soyez en souffrance morale et que pour y remédier nous vous isolions voire entravions dans une chambre et qu’un soignant vous dise à quelle heure vous pourrez manger, vous lever, vous coucher, comment vous sentiriez-vous ? » Très vite, les visages parlent, exprimant l’interrogation, la peur, la colère, le dégoût et viennent les mots « jamais », les expressions « ah non hors de question », ou encore « je ne supporterais pas »… C’est alors que je réponds par cette expression : « traite le monde tel que tu voudrais qu’il te traite » Bien souvent, de là naît une réflexion sur les pratiques professionnelles et la posture soignante. Ces échanges sont d’autant plus riches lorsque l’ensemble des professionnels du champ de la psychiatrie participent à la formation (infirmier-ère-s ; aides-soignant-e-s ; psychiatres ; cadres de santé…).

Aussi, il est fréquent lors du bilan final de la formation d’avoir des retours très positifs des participants, prenant conscience que « le faire autrement » est possible si chacun s’en donne les moyens et se met à la place du patient.

Les pratiques vertueuses en psychiatrie : une chance pour les soignants

Dans la continuité de la formation, j’aborde ensuite avec les participants les pratiques soignantes vertueuses existantes qui, bien qu’encore à l’étude[9], font déjà leurs preuves.

Par exemple, je m’appuie sur la compréhension des situations « à risque » et les axes d’amélioration possibles tels que la création d’espace d’apaisement et leur utilisation, la rédaction de plan de prévention partagé de concert avec l’usager sur la posture professionnelle à adopter en toutes circonstances.

Pour éclairer ces outils, je me réfère d’une part aux recommandations de bonnes pratiques de la HAS[10], d’autre part à la boîte à outils disponible sur Psycom® tels que le kit « histoire de droits[11] » et tout autre rapport, article, revue traitant du sujet.

Le respect des droits fondamentaux dont la liberté d’aller et venir devrait être le fil conducteur des établissements et structures accueillant les personnes en souffrance psychique

C’est pourquoi, aborder systématiquement ces sujets en formation permet d’engager le débat et de susciter les échanges avec pour objectif une psychiatrie toujours plus humaine se référant au fait que tout usager du système de soins est avant tout un citoyen à part entière.

Partant de ce postulat, nous, formateurs, stagiaires, professionnels de la santé mentale, contribuons au long chemin vers la déstigmatisation des personnes en souffrance psychique.

 

 

 


[1] Loi n°90-527 du 27 Juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation.
[2] idem
[3] Expression de mon ami et collègue psychologue Arnaud Barbier, féru d’homophones et d’associations d’idées
[4] Haute Autorité de Santé
[5] L’approche centrée sur la personne- Rogers C. ; Kirschenbaum H. ; Land-Henderson V.- Essai Broché-Août 2013
[6] Loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades ; loi 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de prise en charge ; loi 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation des systèmes de santé
[7] Loi n° 2022-46 du 22 Janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique
[8] Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté
[9] PHRIP Planco-Iso : « impact du plan de crise conjoint sur la durée des mesures coercitives », étude débutée en 2019.
[10] Mieux prévenir et prendre en charge les moments de violence dans l’évolution clinique des patients adultes lors des hospitalisations en psychiatrie- HAS- 2016
Auteur : Céline SEGARD – Formatrice-consultante au GRIEPS

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