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La psychoéducation, qu’est-ce que c’est ?

15 janvier 2024
La psychoéducation, qu’est-ce que c’est ?

Une pratique orientée vers le rétablissement en psychiatrie :

Louis témoigne de son mieux-être grâce à un groupe de psychoéducation

Lors de la préparation de son pilulier hebdomadaire avec une infirmière du centre médicopsychologique, Louis, 36 ans, soulevait une problématique autour de l’utilité et l’efficacité de son traitement médicamenteux actuel. Se sentait-il vraiment mieux depuis sa dernière crise psychotique ? Arrivait-il à avancer dans sa vie, avoir des projets ?

Il se rendait bien compte que les symptômes majeurs dont il souffrait s’étaient estompés. En effet, les voix qui le menaçaient s’étaient tues. Il dormait mieux ces derniers mois et se sentait moins angoissé. Il avait même réussi à arrêter ses consommations excessives d’alcool et de cannabis sur les conseils de son médecin. Cependant, il ressentait un certain vide dans son quotidien, un manque de motivation pour s’engager vers de nouveaux objectifs.

Après les effets délétères des troubles psychiques l’ayant conduit à une hospitalisation sous contrainte, il se sentait un peu perdu. D’ailleurs, ce diagnostic annoncé par son psychiatre, il n’en comprenait pas grand-chose. Il avait certes entendu parler de la schizophrénie dans les faits divers ou dans certains films, mais comment cela correspondait-il réellement à ce qu’il vivait en ce moment ? Comment en était-il arrivé là ?

Il se rappelait sa première hospitalisation :

« À ma première hospitalisation, j’ai 24 ans. J’entre au Centre Hospitalier, […] dans un pavillon fermé. Étant alcoolisé, on me place à l’isolement : une petite pièce sans fenêtre avec juste un matelas au sol. Je n’y reste pas longtemps mais c’est un traumatisme. Cette première hospitalisation est longue et dure à vivre. Après une période d’observation, le diagnostic tombe : je suis schizophrène. Ce diagnostic a l’effet d’une bombe et on ne me donne pas assez d’explications. Comment se fait le diagnostic ? Qu’est-ce que ça implique ? […] Dans un premier temps, je refuse ce diagnostic : le déni durera longtemps. » (Témoignage de Louis)

D’abord prendre conscience des troubles

« Mon psychiatre me propose alors de participer à l’atelier de psychoéducation. J’intègre un groupe de personnes ayant la même maladie que moi et on parle de la schizophrénie. » (Louis)

Comme il le dit lui-même, Louis a longtemps réfuté le diagnostic qui lui a été donné, ce qui dénote d’un insight plutôt faible. L’insight peut se définir comme le processus de conscientisation de l’usager par rapport à sa pathologie psychiatrique, aussi bien concernant le diagnostic, la conséquences sur la vie quotidienne des symptômes exprimés et la nécessité de soins. Il constitue le socle de base de cet apprentissage qu’est la psychoéducation et c’est ce qui doit être développé lors des séances pour pouvoir mieux connaitre et gérer sa maladie au quotidien.

Cet insight revêt plusieurs dimensions. En effet, on observe parfois une forme d’anosognosie chez certains sujets souffrant de schizophrénie, inhérente à cette affection en particulier (tout comme cela peut être le cas dans des maladies neurodégénératives par exemple). Cependant, cette non-conscience du trouble peut également avoir une dimension psychologique par un processus de déni sous l’effet dévastateur de l’annonce du diagnostic d’une maladie mentale chronique et stigmatisante. Une forme de stupeur peut alors se mettre en place chez le patient, un peu comme un mécanisme de défense évitant l’effondrement. Enfin, dans certaines affections psychiatriques, il existe une difficulté à identifier ses sensations corporelles et émotionnelles comme étant propres à soi-même et liées à une maladie

C’est pourquoi, lors des échanges entre pairs durant le programme de psychoéducation, via le modèle pédagogique de la co-construction en groupe et du partage du vécu expérientiel, chacun aura l’opportunité de pouvoir s’identifier, ou non, au vécu exprimé. Cela pourra favoriser un processus d’acceptation de ses troubles et d’identification à une maladie commune.

« Je me sens moins seul ; je croyais que ça ne m’arrivait qu’à moi d’entendre des voix ! » (Louis)

Le groupe poursuivra l’exploration des différentes explications possibles concernant leurs symptômes, à partir des modèles personnels selon leurs expériences, croyances et connaissances de chacun.

« Il faut savoir que mes parents sont décédés pendant mon adolescence : ma mère est tombée de cheval et s’est brisé la nuque, mon père après une longue dépression, a fini happé par un train. À 14 ans, je suis orphelin et je commence à consommer alcool et cannabis. » (Louis)

Enfin, pour étayer cet insight et enrichir le modèle de causalité de la maladie, les animateurs apporteront des informations scientifiques et médicales complémentaires pour consolider ces savoirs. Seront abordées, entre autres, les thématiques de l’addictologie, des traumatismes, de la stigmatisation ou encore de la pharmacologie grâce à plusieurs intervenants et pair-aidants (patients rétablis de leur affection psychiatrique).

S’appuyer sur ses ressources pour faire face

Une fois réalisé ce tour d’horizon des manifestations possibles de cette pathologie ainsi que des causes et conséquences éventuelles dans la vie quotidienne, le groupe abordera le sujet des ressources et compétences adéquates pour y remédier.  Il s’agit des  « protecteurs » pour aborder la vie de tous les jours, afin d’éviter une rechute ou une réhospitalisation. Divers professionnels interviendront pour chaque thématique retenue (pharmacien, éducateur, assistante sociale, psychiatre, addictologue, infirmier…).

Ainsi, les participants apprendront à mieux comprendre l’intérêt de leurs soins et traitements ou à pouvoir en parler et négocier avec les soignants. La question de l’entourage (conjoint, famille, amis, collègues…) sera également explorée sous l’angle de l’approche par les forces. La psychoéducation auprès des familles étant un facteur de protection supplémentaire contre les décompensations psychiatriques. Les usagers définiront quels sont les autres moyens possibles pour se sentir épanouis, soutenus ou utiles dans la société (loisirs, milieu associatif, logement, emploi…).

« Pendant ces années, mes frères et soeurs m’entourent et sont un soutien important. […] Cet atelier permet de mieux connaître la maladie : ses symptômes, les médicaments prescrits et les autres ressources mises à notre disposition comme les associations, les GEM et autres. Il y a différents intervenants : un psychiatre, un pharmacien, une assistante sociale. Je découvre que je ne suis pas seul face à cette situation. » (Louis)

L’espoir d’une vie épanouissante

Grâce aux interactions ayant lieu pendant les séances, enrichies par les témoignages de pair-aidants, le groupe aura construit un nouveau point de vue sur la signification de leur maladie et la redéfinition de leur identité propre, en dehors du seul statut de patient.

« Récemment, on m’a également fait découvrir la pair-aidance et l’idée de rétablissement. C’est une approche intéressante et je trouve la démarche utile, pour la personne aidée comme pour celle qui aide. Le pair-aidant apporte un nouveau regard sur le soin de par son expérience et s’il est bien avancé dans le rétablissement, il apporte un peu d’espoir et montre qu’il faut croire au mieux-être. » (Louis)

Par ce biais, les participants pourront se réapproprier un certain pouvoir décisionnel concernant leur santé et leurs projets d’une façon globale, qui est désigné sous l’appellation « empowerment ».  Comme le souligne Wallerstein, « l’empowerment fait référence au niveau de choix, de décision, d’influence et de contrôle que les usagers des services de santé mentale peuvent exercer sur les événements de leur vie. » Cela correspond à un changement fondamental des rapports de pouvoir visant à transformer l’usager de soins de santé mentale en un sujet acteur de son propre rétablissement.

« En commençant cet atelier, j’ai différentes attentes, comme améliorer ma communication avec les autres, mieux retenir les informations, éviter l’isolement et réfléchir à mes objectifs en matière de vie sociale et de travail. […] On travaille notre concentration, notre mémoire, la communication et le groupe développe une bonne cohésion. » (Louis)

Ainsi, par le moyen de l’empowerment et de la pédagogie de la réappropriation, les participants sont encouragés à se voir non seulement comme des patients, mais comme des individus compétents et actifs, capables d’agir pour eux-mêmes et pour les autres, et choisir ce qui leur semble le mieux pour leur propre vie.

« Deux ans après[…], suite à une autre hospitalisation, j’ai un deuxième déclic. Je décide d’arrêter alcool et cannabis : je veux rester le plus possible maître de mon esprit. C’est un véritable changement dans ma vie après plus de 15 ans passés à fumer et boire. J’ai le sentiment de reprendre le contrôle. Je fais du sport via le centre hospitalier et je me sens de mieux en mieux. » (Louis)

Une efficacité reconnue

« La psychoéducation peut être définie comme une intervention didactique et psychothérapeutique systématique qui vise à informer les patients et leurs proches sur le trouble psychiatrique et à promouvoir les capacités pour y faire face. Ce n’est pas seulement une transmission d’information, mais aussi une méthode pédagogique adaptée aux troubles ayant pour but une clarification de l’identité, une appropriation du pouvoir et une modification des attitudes et des comportements. » (Bonsack C., Rexhaj S., Favrod J.)

Employé pour la première fois en 1980 pour la schizophrénie, ce terme reste largement utilisé dans la littérature internationale, alors que le terme d’éducation thérapeutique prévaut en France. Elle se révèle aussi particulièrement pertinente dans la gestion des pathologies psychiatriques chroniques telles que la dépression ou les troubles bipolaires.

Selon des méta-analyses, la psychoéducation contribue au développement de l’insight, qui est lié à une meilleure adhésion au traitement, une réduction des symptômes, une amélioration de la qualité de vie, et une diminution des rechutes et durée d’hospitalisation.

De ce fait, selon les recommandations du programme pluriannuel de psychiatrie et santé mentale 2018-2023 de la HAS : « la psychoéducation (des usagers et des proches), destinée à favoriser l’acceptation et l’appropriation des troubles, du traitement et des perspectives de rétablissement » est préconisée. 

« Se rétablir n’est pas si facile, cela touche à différentes dimensions telles que le rétablissement clinique avec réduction des symptômes mais aussi le rétablissement social avec une meilleure intégration… C’est aussi un processus dans lequel la rechute est possible, on n’est pas guéri de la maladie, on avance avec mais d’une meilleure façon et le but est de se sentir bien ou mieux. » (Louis)

Épilogue

Louis, rayonnant d’une nouvelle confiance en soi, mesure l’ampleur de son évolution après ces 15 séances de psychoéducation. L’impact significatif de son témoignage, partageant avec sincérité et courage son parcours face aux défis de la santé mentale, a touché de nombreux usagers et professionnels du domaine. Cette expérience lui a révélé un potentiel insoupçonné : celui de devenir un médiateur en santé pair, un rôle qu’il envisage désormais avec enthousiasme et détermination.

Conscient des obstacles qui jalonnent encore son chemin vers ce nouveau rôle, notamment ses difficultés de concentration, Louis a pris la décision proactive de rejoindre un groupe de remédiation cognitive. La sérénité qu’il trouve dans son studio, aménagé avec goût dans une ancienne grange du jardin de sa sœur, en compagnie de son fidèle chien, contribue grandement à son bien-être quotidien.

Louis a aussi renoué avec l’escalade, une passion partagée avec son frère, qu’il avait mise de côté durant les moments les plus sombres de sa vie. Gravir les parois rocheuses lui offre non seulement un défi physique, mais aussi une métaphore puissante de son parcours : chaque prise, chaque ascension, symbolise un obstacle surmonté, une peur affrontée.

« La psychiatrie en France change doucement son regard sur le malade, elle évolue. Il reste du chemin à faire mais de nouvelles directions sont prises dans ce sens. » (Louis)

L’exemple du cheminement de Louis met en lumière que, bien que difficile, la maladie psychiatrique peut offrir au patient une opportunité précieuse de s’investir dans un processus d’apprentissage et de transformation personnelle continue au travers de la psychoéducation. Elle l’encourage à repenser les connaissances et à jouer un rôle actif dans sa propre guérison. Ce voyage, à la fois autodidacte et soutenu par les professionnels de santé mentale est envisagé comme un parcours de vie et d’évolution personnelle.

 

Pour aller plus loin, nous vous proposons une formation

Psychoéducation en psychiatrie : initiation, élaboration d’un projet

Références
  • AIRAGNES, G. (2012). L'insight et ses spécificités dans la schizophrénie. Perspectives Psy, 51, pp. 14-21.
  • BONSACK C., REXHAJ S., FAVROD J. (2015). Psychoéducation : définition, historique, intérêt et limites. Annales Médico-Psychologiques, 173/1, 79-84.
  • FAVROD J, MAIRE A (2015). Se rétablir de la schizophrénie, Elsevier Masson
  • FAVROD, J. N. (2019). 57. Psychoéducation individuelle et familiale. Dans S. Dollfus, Les schizophrénies (pp. 391-395). Lavoisier.
  • Haute Autorité de Santé - Programme « psychiatrie et santé mentale » de la HAS (has-sante.fr)
  • VAN DEN HOVE-AMBIEL, C. F. (2014). Conscience des troubles et vécu des parents dans la schizophrénie débutante. L'information psychiatrique, 90, pp. 103-110.
  • WALLERSTEIN N (2006). Quelles sont les preuves de l’efficacité de « l’empowerment » dans l’amélioration de la santé ? in Health Evidence report, OMS
Auteur : Mélanie HAMANN – Formatrice consultante au GRIEPS
Psychoéducation

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