Le concept de « CARE » : Les soins liés aux fonctions de la vie
Qu’est-ce que le « CARE » ? Issu des États-Unis et difficilement traduisible, le terme comporte des nuances différentes selon qu’on le traduise par le soin ou par la sollicitude. Pour Marie-Françoise Collière qui a écrit « Promouvoir la Vie », il s’agit de redonner du sens et sa vraie valeur au « CARE », aujourd’hui parfois pratiqué dans le langage commun sans connaissance de son fondement réel.
Le vocabulaire anglais retient deux natures de soins différentes :
D’une part, les soins coutumiers et habituels, « CARE » : en l’anglais « To care » : avoir soin de… Ce sont les soins liés aux fonctions de la vie et de la continuité de la vie.
D’autre part, les soins de réparation, « CURE » en l’anglais « to cure » : curer, réséquer, traiter en ôtant le mal… qui sont les soins de réparation ou de traitement de la maladie.
Les soins liés aux fonctions de la vie, de continuité de vie : « CARE »
Le « CARE » recouvre les soins d’entretien et de maintien de la vie : ce sont tous les soins permanents et quotidiens, ayant pour fonction d’entretenir la vie en la nourrissant en énergie.
Ces apports sont de nature alimentaire (prévention et prise en charge de l’insuffisance, de la dénutrition ou malnutrition), de besoin en eau (hydratation, toilette), de chaleur, de lumière, de nature affective, de nature psychosociale… Inévitablement, chacun de ces aspects interfèrent entre eux.
Ces soins sont fondés sur les habitudes de vie, les coutumes, les croyances. Au fur et à mesure que se construit la vie d’un groupe, naît un rituel, une culture qui programme et détermine ce qui est pensé bon ou mauvais pour entretenir la vie. Ils représentent ainsi tout cet ensemble d’activités qui assure la continuité de la vie.
Ce sont également les soins que la mère donne à son enfant, et que nous sommes amenés à nous donner chaque jour au fur et à mesure que nous avons acquis notre autonomie. Mais aussi, ce sont ces soins qui viennent en compensation lorsque l’autonomie vient à diminuer ou encore à disparaître.
Au-delà de cette définition, le « CARE » est aujourd’hui considéré comme intégrant plus globalement « le souci des autres » qui permet de le dégager de l’emprise des soins pour aller dans le champ du « prendre soin ».
Le « CARE » repose particulièrement sur la prise en compte de la dépendance, dont chacun fait à un moment le constat et avec laquelle il doit vivre, mais sans que celle-ci soit considérée comme une faiblesse. Il s’agit au contraire de mettre en valeur l’interdépendance. Il s’agit de reconsidérer la « sollicitude » et l’accompagnement des personnes vulnérables dans les pratiques.
Institué comme sujet politique et philosophique le « CARE » dépasse de ce fait l’activité soignante à proprement parler.
Les soins de réparation ou traitement de la maladie : « CURE »
L’approche du « CARE » ne remet pas en cause et ne s’oppose pas à la nécessité d’utiliser, en plus des soins d’entretien de la vie, des soins de réparation, ceux qui relèvent du traitement et de la maladie. Mais ils ne prennent sens que s’il y a par ailleurs maintien de tout de ce qui contribue à la continuité et au développement de la VIE.
Les soins de réparation (le « CURE ») ont pour but de limiter la maladie, de lutter contre elle et de s’attaquer aux causes. L’objet de réparation est devenu la fonction organique, la fonction mentale, l’organe, le tissu, voire la cellule isolée de son tout. Cela met en œuvre un processus d’analyse qui, s’il distingue les causes organiques, des causes psychiques, en a écarté les causes socio-économiques ; les soins de réparation étant le plus souvent réalisés en isolant chaque personne de son environnement, de sa niche écologique, de son groupe, et même de lui-même en tant que personne et donc de tout de qui peut donner signification au processus santé-maladie…
La rupture entre le corps et l’esprit, entre l’homme et son environnement, la multiplication des techniques d’investigation et de réparation centrées sur la maladie ont peu à peu écarté les questionnements sur les causes liées aux modes de vie, aux conditions de vie, au désir d’exister.
C’est ainsi que progressivement les soins de réparation vont prédominer au point d’oblitérer, et parfois d’exclure, les soins d’entretien de la vie (le « CARE »), qui eux, deviennent minimes et subalternes, alors qu’ils demeurent fondamentaux et que sans eux aucune vie ne peut se continuer.
Mais sans l’accompagnement simultané des soins alimentaires, d’hygiène et avec pour support les soins relationnels, on assiste au mieux à la stabilisation et le pus souvent à l’aggravation du processus de dégénérescence : « la vie se retire à chaque fois que l’on se préoccupe d’avantage de ce qui meurt que de ce qui vit ».
Lorsqu’il y a prévalence du « CURE » sur le « CARE », il y a anéantissement progressif de toutes les forces vives de la personne, de tout ce qui la fait ÊTRE, par épuisement des sources d’énergie vitale physique, affective, sociale… Alors que tout ce qui reste des capacités de vie demande et exige d’être mobilisé constamment, et jusqu’au seuil de la mort, afin que les énergies vitales l’emportent sur les obstacles à la vie, même au seuil de la mort.
Si l’interrogation et le savoir-faire du professionnel sur la maladie et la maladie l’emportent sur la nécessité d’aider la personne à continuer à réaliser sa vie, et à se développer dans l’expression de sa vie, il n’y a plus à proprement parler de soins mais plus que des traitements. Quelle est alors la valeur de l’acte de soin lui-même et de son sens pour le professionnel ?
Si soigner ne peut se limiter à traiter la maladie, si grave soit-elle, il importe de se demander quels sont les éléments, les repères qui peuvent conduire à construire un processus de soins infirmiers, en tenant compte de la nature des soins d’entretien de la vie et des soins de réparation.
À ce titre l’approche du « CARE » peut opérer dans les pratiques professionnelles des réorientations significatives entre le champ du sanitaire et celui du social.
Le GRIEPS conscient et convaincu de l’importance de la prise en compte de cette dimension développée dans le « CARE » l’intègre dans son action au-delà des apports techniques de ses interventions.
NOTES :
Marie Françoise Collière : Promouvoir la vie, Inter éditions, 1992 pages, 243- 248 ; Soigner le premier art de la vie Inter éditions 1996Oeuvre collective
Gille RAYMOND : « Qu’est-ce le care : Souci des autres, sensibilité, responsabilité… » sous la direction de Pascale Molinier, Sandra Laugier, et Patricia Paperman « Petite bibliothèque Payot » 2010